Tant à apprendre

Les pèlerins prennent les rangs au cimetière militaire canadien de Dieppe. [PHOTO : TOM MacGREGOR]

Les pèlerins prennent les rangs au cimetière militaire canadien de Dieppe.
PHOTO : TOM MacGREGOR

Le pèlerinage du souvenir des leadeurs de la Légion royale canadienne de 2011

Les 26 membres du Pèlerinage du souvenir de la jeunesse de la Légion royale canadienne entendaient des coups de feu tonnant au loin quand ils sont descendus de l’autocar parmi les innombrables rangées de pommes de terre et de légumes, en Belgique. Il ne s’agissait pas des armes des batailles anciennes, mais simplement des armes à gaz propane qui tirent au hasard pour effrayer les oiseaux autour des cultures croissant dans les champs de bataille de la Première Guerre mondiale.

Les sons de bataille étaient quand même à l’esprit des pèle­rins quand le guide touristique, John Goheen, se tint sous une affiche modeste servant à commémorer les évènements du bois des Kitcheners à la Grande Guerre.

Quand les Allemands se sont servi de gaz pour la première fois à la guerre, ils visaient les Français et les troupes coloniales qui furent incapables de maintenir leurs lignes. Une brèche de six kilomètres s’ouvrit dans la ligne des alliés servant à la protection de la ville d’Ypres dont la tour de la salle du tissage était visible au loin.

À cause de cette brèche, les Allemands réussirent à entrer dans le bois des Kitcheners, baptisé ainsi non pas en l’honneur d’un chef militaire, mais parce que les Français y avaient leurs cuisines (kitchen signifie cuisine en anglais, n. d. t.). C’est là que, le 22 avril 1915, les Canadiens reçurent l’ordre de refermer la brèche. En courant pendant la nuit, ils tombèrent sur des haies entrelacées de fils de fer qu’ils devaient traverser en se servant de leur crosse de fusil. La surprise fut gâchée et l’ennemi ouvrit le feu. Les Canadiens restèrent quand même sur leur lancée et se rendirent maitres de la position.

« C’est stupéfiant qu’ils aient réussi ne serait-ce qu’à atteindre les Allemands et qu’après ça, ils se sont battus au corps à corps » dit Goheen. Ils résistèrent à deux contrattaques le lendemain.

Non loin de là, le 24 avril, les Allemands utilisaient de nouveau le gaz toxique, cette fois-là prenant la ligne canadienne pour cible. Les Canadiens maintinrent leur position, mais les pertes se comptèrent par milliers. « Les Canadiens ont sauvé Ypres. Si ce n’avait été des Canadiens, durant ces quelques jours-là en avril 1915, la guerre aurait été tout autre, c’est sûr », nous expliqua Goheen.

La même journée, les pèlerins allèrent voir le fameux Mémorial de Saint-Julien, au coin de Vancouver, où les Canadiens résistèrent à l’attaque au gaz. Il s’agit d’une escape en granite qui s’élève à 11 mètres au-dessus du sol et se termine en un soldat sombre baissant la tête et posant les mains sur une crosse de fusil.

Près de l’administratrice Arlene King au Mémorial de Beaumont Hamel, les Terre-Neuviens (de g. à d.) Silas et Jacqueline Thompson, et Ed Fewer. [PHOTO : TOM MacGREGOR]

Près de l’administratrice Arlene King au Mémorial de Beaumont Hamel, les Terre-Neuviens (de g. à d.) Silas et Jacqueline Thompson, et Ed Fewer.
PHOTO : TOM MacGREGOR

Le groupe alla aussi visiter le cimetière d’Essex Farm où un médecin militaire épuisé et attristé, du nom de John McCrae, écrivit In Flanders Fields après la mort de son ami, le lieutenant Alexis Helmer de l’Artillerie canadienne.

C’était à la saillie d’Ypres, défendue par les alliés durant toute la guerre. Bien que les Allemands s’approchèrent jusqu’à à peu près deux kilomètres de la ville d’Ypres, ils ne la conquirent pas. Toutefois, à la fin de la guerre, elle était en ruines à cause des bombardements incessants.

La terre est plate dans toute la région, de sorte que même les plus petites crêtes étaient défendues férocement pour l’avantage qu’elles donnaient. « C’est plat comme la Saskatchewan, dit le cultivateur Joe Wilson de Carlyle, en Saskatchewan. C’est la seule province où l’on peut voir sa fille fuguer pendant deux semaines. »

Le commentaire cocasse de Carlyle était adressé aux participants du pèlerinage qui eut lieu du 9 au 23 juillet.

Au mémorial de Vimy (de g. à d.) Jacqueline Thompson, Joyce Phillips, Patricia Duffy, Scott Briand, Jean-Pierre Asselin, vice-président national Tom Eagles, Bill Maxwell, George DeRabbie, Dorothy Butler, Connie Wilson, Sheila Donner et Aaron Bedard. [PHOTO : TOM MacGREGOR]

Au mémorial de Vimy (de g. à d.) Jacqueline Thompson, Joyce Phillips, Patricia Duffy, Scott Briand, Jean-Pierre Asselin, vice-président national Tom Eagles, Bill Maxwell, George DeRabbie, Dorothy Butler, Connie Wilson, Sheila Donner et Aaron Bedard.
PHOTO : TOM MacGREGOR

Le groupe, dirigé par le vice-président national Tom Eagles de Plaster Rock, au Nouveau-Brunswick, qui était l’un des pèlerins en 1992 et qui est président actuel du Comité national du coquelicot et du souvenir, se composait de 10 représentants, un de chaque division, ainsi que de leurs conjoints et d’hôtes payants, et voyagea par autocar de Paris à Oosterbeek, dans les environs d’Arnhem, aux Pays-Bas. La troupe de pèlerins s’arrêta dans des champs, au bord de chemins ruraux, devant des mémoriaux et à des cimetières militaires du Commonwealth, pour se colleter avec les évènements de deux guerres mondiales qui avaient attiré tant de jeunes Canadiens.

Les visiteurs avaient pris l’avion à Toronto pour Paris, puis l’autocar jusqu’à Caen. Pendant le souper, Eagles et le coordonnateur du voyage, Bill Maxwell de la Direction nationale, avaient fait les présentations. Eagles a donné le ton en parlant des premières expériences qu’il a faites à ce genre de lieux en Europe. Il a ensuite pris un court instant pour remplir un devoir de la part du gouverneur général, David Johnston.

Ayant lu une introduction du gouverneur général, Eagles a remis au représentant de la Division de la Colombie-Britannique–Yukon, Aaron Bedard, une Mention élogieuse du commandant en chef à l’intention des unités. « Entre janvier et aout 2006, le groupement tactique du 1er Bataillon de la Princess Patricia’s Canadian Light Infantry (PPCLI) a livré un combat presque incessant avec une force d’insurgés bien préparée et décidée en Afghanistan, a lu Eagles. Pendant 29 opérations majeures, la souplesse et la cohésion remarquable dont ont fait preuve les membres du groupement tactique leur ont permis de surmonter nombre d’épreuves pour réprimer les activités des talibans, assurer la liberté de mouvement des forces de la coalition, et procurer une aide humanitaire partout au Kandahar. »

Scott Briand lit la prière navale à Dieppe. [PHOTO : TOM MacGREGOR]

Scott Briand lit la prière navale à Dieppe.
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Bedard n’est plus militaire à cause d’une blessure à l’épine dorsale, mais il passe une grande partie de son temps à parler aux jeunes des expériences qu’il a eues en génie de combat et à la PPCLI.

Parmi les pèlerins se trouvaient aussi Sheila Donner de Medicine Hat, représentante de la Division de l’Alberta–Territoires du Nord-Ouest; Connie Wilson de Tisdale, en Saskatchewan; Dorothy Butler de Winnipeg; George DeRabbie d’Acton, en Ontario; Jean-Pierre Asselin de Chicoutimi, au Québec; Patricia Duffy de Bathurst, au Nouveau-Brunswick; Joyce Phillips de Breadalbane, à l’Île-du-Prince-Édouard; Scott Briand de Lower Sackville, en Nouvelle-Écosse; et Jacqueline Thompson de Grand Falls-Windsor, à Terre-Neuve.

Comme hôtes payants, il y avait Clayton et Cindy Saunders, président et secrétaire respectifs de la Division du Nouveau-Brunswick; Wayne Donner, mari de Sheila et premier vice-président de la Division de l’Alberta–Territoires du Nord-Ouest; et Jack Wilson, père de Connie. Joyce Phillips était accompagnée de son mari, Gord Phillips, et George et Estelle Dalton qui siègent au Lest We Forget Committee (comité Nous nous souviendrons d’eux, n. d. t.) de l’Île-du-Prince-Édouard réunissant anciens combattants et élèves. Alice DeRabbie et Silas Thompson étaient accompagnés de leurs conjoints. Ed Fewer de Grand Falls–Windsor, à Terre-Neuve, en était à son troisième pèlerinage de la Légion.

Les pèlerins se promènent le long de la plage Juno. [PHOTO : TOM MacGREGOR]

Les pèlerins se promènent le long de la plage Juno.
PHOTO : TOM MacGREGOR

Les premiers jours comportèrent des thèmes triomphants alors que le groupe visitait la plage Juno, au nord de Caen, où quelque 14 500 Canadiens ont atterri le jour J, c’est-à-dire le 6 juin 1944. Bien qu’ils aient réussi à établir une tête de pont, il y eut 1 074 victimes parmi les Canadiens ce jour-là. Trois-cent-cinquante-neuf d’entre elles étant décédées.

Les pèlerins ont déambulé le long des plages près de Bernières-sur-Mer où ils ont observé la maison caractéristique qui a servi de jalon aux soldats prenant pied ferme. Aujourd’hui, elle sert à commémorer la bravoure des Queen’s Own Rifles of Canada.

À Courseulles-sur-Mer, le groupe est allé au Centre de la plage Juno où est racontée l’histoire de la participation canadienne à la Seconde Guerre mondiale.

L’humeur est devenue sombre en après-midi, à l’abbaye d’Ardenne, dans le jardin de laquelle un monument sert à rendre hommage aux 20 membres des North Nova Scotia Highlanders, du 27e Régiment blindé canadien et des Stormont, Dundas and Glengarry Highlanders qui furent faits prisonniers et exécutés par les Allemands peu après le jour J.

La maison repère de la plage Juno rend hommage aux Queen’s Own Rifles of Canada. [PHOTO : TOM MacGREGOR]

La maison repère de la plage Juno rend hommage aux Queen’s Own Rifles of Canada.
PHOTO : TOM MacGREGOR

C’est là que le groupe célébra sa première cérémonie commémorative. La soirée précédente, il avait répété les règles des 13 cérémonies qu’il allait régler. Tous auraient l’occasion de remplir chacun des rôles cérémoniels. Il y aurait un sergent d’armes et une garde du drapeau pour porter l’unifolié, le Red Ensign, et l’Union Jack, ainsi que les drapeaux des Nations Unies, de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord et de la Légion. Au moins une couronne serait déposée à chaque service. Un enregistrement de l’O Canada, de la dernière sonnerie, du silence, de la complainte et de la diane serait joué et quelqu’un réciterait l’Acte du souvenir.

Le groupe s’est ensuite attardé au désastre de Dieppe de 1942. Le pèlerinage, partant de Caen, alla directement à Pourville et à Puys, les plages des deux côtés de Dieppe qui devaient être prises tôt le matin du 19 aout pour neutraliser les défenses des Allemands avant l’assaut à la plage principale. Malheureusement, les défenses ne furent pas neutralisées, ce qui rendit inéluctable le massacre de ceux qui atterrirent.

Il suffit de marcher le long de la plage caillouteuse de Dieppe et d’étudier les falaises imposantes où l’on peut encore voir les restes des bunkeurs en béton armé pour imaginer le feu pro­venant des armes sur ceux qui touchaient terre. Bedard a remarqué que « vu les feux croisés provenant de trois angles, c’était une parfaite zone de massacre ».

C’est à Dieppe que les pèlerins ont rendu hommage à ceux qui furent perdus en mer. Une cérémonie simple sur la jetée offrait une vue excellente de la plage et des promontoires. Butler, qui a servi dans le Service féminin de la Marine royale du Canada après la guerre, a lancé une couronne à la mer pendant le service. Les autres pèlerins ont ensuite lancé dans l’eau agitée des petites croix de bois faites et peintes par les élèves de l’école Aurora Charter d’Edmonton. Au début, la couronne et quelques-unes des croix qui semblaient vouloir l’encercler se sont dirigées vers la terre ferme, puis le tout est parti à la dérive dans la Manche.

Tôt le matin, Goheen a rejoint quelques membres du groupe sur la plage et, à 5 h 20, ils ont levé leur verre aux Canadiens qui atterrirent en 1942, à la même heure. Leur verre d’alcool tenu en haut alors que la lumière poignait à l’est, ils lancèrent « aux hommes de Dieppe ».

Le groupe prend la pose à côté d’un char Sherman à Oosterbeek. [PHOTO : TOM MacGREGOR]

Le groupe prend la pose à côté d’un char Sherman à Oosterbeek.
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En partant de Dieppe, les pensées du groupe se sont tournées vers la Première Guerre mondiale et la bataille de la Somme qui eut lieu il y a 95 ans.

La tragédie de la Somme n’est nulle part rappelée plus solennellement qu’à Beaumont-Hamel. Le 1er juillet 1916, le premier jour de la bataille, le Newfoundland Regiment reçut l’ordre de se lancer à l’attaque d’un ennemi bien retranché en plein jour. Sur les 801 qui prirent part à l’attaque, 68 seulement pouvaient répondre à l’appel le lendemain. La plupart avaient été tués ou blessés durant le premier quart d’heure.

Ce champ de bataille est aujourd’hui un parc national canadien. Le paysage, aujourd’hui vert et luxuriant, a été laissé tel qu’il était : défoncé par les trous d’obus et les tranchées. Un caribou de bronze, symbole du régiment, domine le tout sur un tertre.

Les pèlerins ont été rejoints dans leur service commémoratif par Arlene King, conseillère de programme d’Anciens Combattants Canada pour les opérations européennes, et par un guide canadien. La garde du drapeau, augmentée pour cette unique occasion par Bedard portant le drapeau terre-neuvien, a suivi la tranchée préservée jusqu’à la base du monument. Après la lecture de l’Acte du souvenir, les pèlerins ont été surpris d’entendre King et le guide se mettre à chanter Ode To Newfoundland. « Cela a donné quelque chose de spécial au service », a affirmé Silas Thompson.

Le groupe a visité les attractions touristiques de la Somme pendant plusieurs jours, finissant au monument commémoratif du Canada à Vimy où eut lieu le pinacle cérémoniel du pèlerinage. Là, sous le monument de pierres blanches, le groupe a réglé une cérémonie solennelle. Les noms de 11 285 Canadiens morts au combat en France et dont le lieu de sépulture est inconnu sont inscrits sur le monument.

Les pèlerins ont été rejoints par la suite par le contingent militaire canadien de la marche de Nimègue. Chaque année, la Direction nationale verse un octroi aux Forces canadiennes afin que les Canadiens puissent aller au mémorial déposer une couronne. Les marcheurs étaient très heureux de se faire prendre en photo avec les pèlerins.

À Ypres, le groupe a assisté à une cérémonie sous la porte de Menin en commémoration des presque 55 000 morts des armées du Commonwealth tombés en Belgique et sans sépulture connue. Parmi eux, les Canadiens étaient au nombre de 6 940. Tous les jours, à la tombée de la nuit, la circulation à la porte est stoppée pendant que des clairons du service d’incendie jouent la dernière sonnerie et leur propre version du réveil. En cette occasion se sont assemblés plusieurs milliers de spectateurs, surtout des groupes d’écoliers britanniques.

La garde du drapeau de la Légion et le reste de la délégation ont défilé jusqu’au centre de la place et prirent leurs positions. Les clairons ont joué, puis Eagles s’est avancé pour lire l’Acte du souvenir, les mots solennels résonnant sous les grandes arches. La Légion déposa la première couronne, suivie des vagues d’élèves apportant des couronnes de la part de leur école.

Les pèlerins reprirent l’histoire de la Seconde Guerre mon­diale quand ils se sont dirigés vers les Pays-Bas, où ils ont réglé des cérémonies aux cimetières de Bergen-op-Zoom, de Holten et de Groesbeek. Au cimetière militaire canadien de Holten, Eagles et son épouse, Cheryl, firent une reproduction par frottement de la pierre tombale de Samuel Glazier Porter du Carleton and York Regiment. « C’était l’oncle de Cheryl, et ça a été une expérience très émouvante pour elle, quelque chose qu’elle n’oubliera jamais » dit Tom. Porter est mort le 15 avril 1945, quelques semaines à peine avant la fin de la guerre en Europe.

Au souper d’adieu, à Paris, Ed Fewer a déclaré : « Je sais ce que j’ai ressenti lors de mon premier pèlerinage. On rentre chez soi et, un jour, peu de temps après, on se demande “Qu’est-ce qui vient de m’arriver?” On a tellement appris, et pourtant il y a tellement plus à apprendre. »

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